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DISCOGRAPHIE KROTZ STRUDER & JULIEN GRANDJEAN

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                                                in Revue & corrigée

Une chronique de proprio motus sur A découvrir absolument.

                               A propos de an die nacht, Michel Henritzi, Revue & Corrigée, mars 2022

 

Un homme met à la poste un petit paquet d’enveloppes contenant chacune un cd-r sur lequel sont gravés neuf morceaux, chansons ou pièces de musique. Il s’agit d’enregistrements réalisés au cours des semaines précédentes au domicile du posteur par le posteur lui-même, à l’aide d’un petit objet numérique et de quelques instruments (trois guitares probablement soit un total de 18 cordes).
L’ensemble n’excède pas dix-huit minutes (ici réduites à 15 et des poussières) et réfère explicitement à la figure, à l’œuvre ou encore à la personne de l’écrivain de langue allemande Robert Walser (1878-1956), soit directement à travers la mise en voix et en musique de certains poèmes de l’auteur, soit indirectement par l’esprit qui anime ou tenterait d’animer les autres pièces. L’ensemble se distingue par une pauvreté de moyens mise au service d’une inspiration chancelante. Une manière de cartel accompagne le cd-r, où figurent au recto la reproduction d’une gravure de Karl Walser, frère de l’écrivain, et au verso le nom attribué à chaque piste de l’ensemble, intitulé "walseriana". La gravure de Karl Walser représente un personnage de dos s’enfonçant aux confins d’un paysage d’hiver rachitique et enveloppant, avec dunes et nappes de neige piquées au loin d’arbres morts. L’espace est saturé de flocons noirs qui ressemblent à des épines et qui lacèreraient le ciel délicatement. Le type s’en va mains dans les poches. Le cd-r et le cartel sont glissés dans une pochette en plastique. Dans l’enveloppe également, un bout de papier plus ou moins blanc supporte à peu de choses près le libellé suivant, tracé au feutre mauve : "petite promenade à la nuit tout juste tombée, dans les pas de l’esquivant Robert Walser". Suivent les initiales K.S, initiales du posteur selon toute vraisemblance. L’homme s’éloigne du centre de la ville et s’étonne d’avoir à ce point déconné. C’était aller derechef au-devant d’un grand silence, et c’est peut-être alors ce qu’il cherchait. Il trouva dans sa poche, à l’heure du chien-et-loup, la paperolle où il avait copié tantôt une phrase de l’écrivain Robert Walser, et qu’il transportait depuis en tous lieux et circonstances : "si nous n’avons pas l’impression maintenant que nous sommes un peu misérables, nous sommes des monstres". Lecture qui indéniablement eut pour effet de le mettre en joie. Et c’est ainsi grisé qu’il gravit allègrement les pentes abruptes du Mont-de-Chat, avec des allures de brigand.

Une chronique de sinon ces volatiles sur "A découvrir absolument"




Emily Dickinson enchantée par Krotz Strüder Matthieu Conquet, France culture, L'actualité musicale

Grandjean takes Dickinson's romantically morbid visions and creates something entirely new and bewitching with them, adding his own bohemian and poetic ingredients... 
Grey Malkin, The active listener

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A moment of epiphany, perhaps? A sudden subversion in long held faith, driven by an idea that barrels through the foundations of previous belief? I talk and think about streams of consciousness quite frequently, but I spend less time considering those ruptures in rational flow; the sudden dread of realising that I may have spent a life in the wrong, followed by a brief attempt at reconciling the new line of thinking with its contradictory predecessor (...)

 ATTN:MAGAZINE

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Un disque qui fait du bien, qui réchauffe, parce qu'il nous parle, de nous, du monde, je veux dire du fond du monde, de ce monde lavé par les crépuscules, de ce monde à la beauté étrange, irréelle, « Nuit après Nuit son trafic pourpre / Jonche le débarcadère de ballots d'Opale » ("The Westerne Mystery")... Inactuelles, Musiques singulières

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Il n’y a pas plus discret et précieux que Julien Grandjean. (...) Et le fait que sa nouvelle œuvre (publiée dans un tirage assez limité chez Wild Silence) s’attache à mettre en musique des poèmes de la séminale Emily Dickinson ne fait qu’apporter encore un peu plus de sens à sa démarche artistique(...)

Records are better than people (Florian Schall)

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Il y a de nombreux points communs entre le label Wild Silence, la poétesse Américaine Emily Dickinson et le musicien Krotz Strüder (...)

Froggy's delight

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Non è una pratica inedita la traduzione in musica di brani poetici, né è operazione aliena da rischi di ricadere in una certa banalità realizzativa. Eppure, quando al contenuto letterario e al pathos insito nei versi si unisce un’empatica ispirazione musicale possono trarre origine piccoli gioielli, come di recente avvenuto con le poesie di Dorothy Parker tradotte in canzoni da Myriam Gendron (...) https://musicwontsaveyou.com/2016/09/14/krotz-struder-15-dickinson-songs/

Music won't save you

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(...) Nouveau paysage sonore, de facture plus classique, celle d'un folk hors-mode, c'est-à-dire hors du temps. En complément de son travail d'écrivain sous le nom de Julien Grandjean, Krotz Strüder publie depuis longtemps et dans la plus grande discrétion une musique imprégnée de poésie (...)

En morceaux


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(...) Krotz Strüder [met] en musique une brassée de poèmes métaphysiques d'emily dickinson. il y rend grâce, pas à tortiller, en en rendant tout la lumière inexplicable, le mystère, l'humeur indécidable, l'espèce de violence très douce (ou vice versa).

Sing Sing

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"Plus d'un siècle et demie les sépare, et un vaste océan. Pourtant, Émily Dickinson, l'étrange poétesse d'Amherst, Massachusetts, et Krotz-Strüder, le discret songwriter à la voix grave du nord de la France, ont en partage bien des traits : tous deux excellent à transformer la tristesse en beauté, usant de moyens modestes, tous deux préfèrent le secret aux lumières aveuglantes des scènes artistiques - ont-ils d'ailleurs le choix ? -, et tous deux recourent plus que de raison à l'introspection - « The Brain is wider than the Sky » écrit Émily dans un poème The one, the other, dont Krotz-Strüder propose une interpétation géniale, un des sommets de l'album. La mélancolie, le secret et les ruminations de l'esprit n'ont pas bonne presse ici-bas, aujourd'hui comme hier : les très nombreux poèmes d'Émily Dickinson n'ont pas, à quelques exceptions près, été lus de leur vivant, et quant aux innombrables chansons que Krotz-Strüder a publiées depuis douze ans, adaptant les mots des plus précieux poètes (Henri Michaux, Robert Walser, Thomas bernhard, Fernando Pessoa, Kleist, Hölderlin, et bien d'autres, excusez du peu !) elles n'ont que rarement suscité l'attention des médias. La musique, il est vrai, ne fait pas vraiment écho à l'air du temps - ce qui, l'air du temps étant ce qu'il est, est plutôt bon signe.
Ces 15 dickinson songs paraissent au contraire parfaitement intemporelles - ce qui constitue la marque des classiques : ces chansons avec lesquels on a le sentiment d'avoir toujours vécu, de les avoir toujours trimballés avec soi, quand bien même tout laisse à penser qu'on les écoute pour la première fois. Ce caractère familier émerge en réalité d'une écriture bien plus complexe qu'il n'y paraît - on pourrait le dire tout aussi bien des poèmes d'Émily Dickinson. La littérature inspire Krotz Strüder, c'est flagrant, et ça l'est encore plus quand on a lu ses livres publiés sous le nom de Julien Grandjean chez L'Arbre vengeur, Précipité, et Les Grandes manoeuvres, deux recueils walsériens, galeries de prolétaires étrangement familiers qui s'efforcent de survivre dans les interstices d'une réalité assommante - à la manière de leurs cousins attachants et grotesques, Beckett ou Maurice Pons.

Étrangers dans leur siècle, insoumis dans leur obstination - "The foreigner before he knocks Must thrust the tears away" (Emily Dickinson) -, les voilà réunis dans cet album dont il n'est pas étonnant qu'il trouve chez Wild Silence (l'oxymore ici leur convient parfaitement) un refuge d'où il pourra, avec un peu de chance, se faire entendre de quelques oreilles dans le bruit souvent sinistre que fait le vaste monde. "

Vincent Seguret / Dana Hilliot


QUELQUES CHRONIQUES DES PREMIERS DISQUES

 

Depuis presque dix ans Krotz Strüder, qui est aussi connu sous le nom de Julien Grandjean, écrivain de son état, sort des disques dans un absolu anonymat. Il faut dire qu’il ne les sort que par ses propres moyens et dans des tirages plus que limités. Dans ces conditions cela n’aide pas vraiment à accéder à la célébrité. On peut ici estimer qu’il ne la cherche pas non plus. Il a raison de s’en foutre quand on voit le sort que l’on réserve aux artistes qui ont autres choses à proposer que les lamentables poncifs de la chanson française. De toute façon, il est peu probable que le bonhomme s’identifie à une entité nationale puisqu’il chante autant en anglais, en français qu’en allemand. Lui, il ne demande rien à personne. Il fait son truc dans son coin et si d’aventure on parle de lui c’est tant mieux, ce sera toujours ça de pris. Le temps que l’on aura passé à écouter sera pris sur celui qu’on aura pu passer à écouter les merdes qu’on essaye de nous refourguer. Et croyez bien que faire passer dans ses oreilles les douces mélopées, parfois un peu tordue, de Krotz Strüder est très loin d’être une perte de temps. Un peu comme André Herman Düne aka Stanley Brinks, Krotz Strüder distille ses morceaux fait de bric et de broc avec une sorte de détachement proprement désarmant. Même si on croise quelques fantômes sur ce disque on saura y trouver de nombreuses sources de satisfactions nous faisant dire qu’il ne mérite pas forcément la relative ignorance qu’ont de lui la plupart des gens. Compositeur ingénieux, il sait mettre en musique non seulement ses textes mais aussi ceux de Valery Larbaud, Roger Walser, Philip Larkin, Emily Dickinson ou Emily Brontë comme un insatiable voyageur qui sait que les chemins que l’on emprunte sont souvent fait d’embûches et qu’on ne les évite pas sans en tirer les conséquences. Krotz Strüder n’a rien de l’artiste formaté pour hipsters ou pour bobos qui se la pètent en ne jurant que par un lo-fi fait par de joyeux petit barbus à lunettes rondes vêtus de pulls détendus et dont la seule lumière qu’ils connaissent est celle-ce de leurs chambres. Non, Krotz Strüder est heureusement loin de ces clichés et la profondeur de sa musique est plus que rassurante parce qu’elle ne réponds pas toujours à des codes précis préférant suivre son instinct plutôt que de recracher dix-huit fois la même chanson. Dedalus Geist III n’a l’air de rien comme ça mais c’est disque qui va bien au delà de la simple sincérité sans être prétentieux pour autant. C’est peut-être ça la justesse.

                                                                                              Liability webzine, 2011 


Les quelques-uns qui ont la chance de connaître la poignée de disques intraitables que Krotz Strüder commet puis répand comme des secrets d’alcôve depuis le début de ce siècle savent peut-être que dans le civil, ce mystérieux personnage s’appelle, très simplement, Julien Grandjean. Peut-être l’ont-ils croisé en littérature via son beau livre Précipité, paru aux éditions de l’Arbre Vengeur, recueil de textes brefs, anachronique et fulgurant, fascinant condensé chimique de littératures surannées et de modernité paradoxale, à cheval entre les narrats de Volodine et les petites proses walseriennes (pour aller vite et délirer un peu). Ses accointances avec un fantastique de proximité, son humour taiseux, entre monologue bilieux et péripéties métaphysiques, le caractère indatable, viscéralement hors-mode de sa forme en firent un motif d’étonnement vrai et lui conférèrent assez rapidement ce statut (relativement) enviable de mini-culte, objet d’amour tordu à se refiler les uns-les autres au sein d’une société inventée pour l’occasion.

Mais, à la faveur de l’éclosion récente du bel A Few polar songs, attardons-nous plutôt sur sa production discographique. Il serait regrettable que sa seule absence de couverture médiatique suffise à nous en tenir éloignés plus longtemps (il faut dire que l’intéressé crée à tour de bras, sans label ni réseau et demeure pour l’instant d’une rareté en public presque offensante en regard des prestations scéniques intenses que l’on connaît de lui…). Neuf disques en moins de sept ans, arrachés chaque fois à la fièvre d’un écrivain en vacances anxieuses, jetés directement du quatre-pistes calenchant au cd-r vite empaqueté (dans de belles eaux-fortes photocopiées sale, sous le kraft griffonné main ou dans le blanc très blanc d’un papier seulement raturé d’une typographie austère), expédié aux copains ou vendu timidement par correspondance au hasard des coups de foudre. Neuf disques charbonneux avec ce goût de cuivre sous la dent, tremblant dans le souffle et la crasse de productions fauchées et belles comme la faim. Cousins osseux de ceux de Centenaire et faux jumeaux des iconoclasmes de Joséphine Foster. Solitaires, malgré tout. Quelques chansons de sa main, racées, intrigantes, et disséminées au hasard des galettes, (La Nuit, ballade apaisée toute écrite sur la pointe des pieds, La Planque, lapidaire et indécidable, complètement flippante, Soutine, vociférée depuis la plume jusqu’à la gorge…) suffisent à convaincre d’un talent de songwriter pas si fréquent sous nos latitudes. Le plus souvent cependant, il aime à empaler sur des grilles d’accords rouillées la parole de poètes glanés au gré des vagabondages intimes comme au bon vouloir de son système nerveux. Ainsi Michaux, Artaud, Dickinson, Apollinaire, Pessoa, Kleist ou Hölderlin sont-ils respirés à plein poumons puis travaillés sous la molaire, chantées comme pour la première fois, tétanos en prime et rendus à notre présent simple par la grâce rudimentaire d’une guitare vieille comme le givre. Strüder, en toute humilité, en toute innocence, dialogue avec les voix passées (et peut-être à venir). Il se revitalise à leur contact. En français, en anglais, en allemand, en chuchotis et grognements. Mélodies cœur en croix harmoniquement chiadées, son idéalement pourri, chant grave d’un navire qui va coulant. L’émotion toujours intacte de chansons brèves et riches de langages multiples où rien n’est laissé en paix (folk troublé par les accords de jazz, Ravel et Schubert sculptant des blues en silex, Syd Barrett et les Cure impressionnistes de Seventeen Seconds, punk à froid, et lui, féminin sans androgynie, chanteuse réaliste passée de l’autre côté du rétroviseur, Nico-Wyatt tout à la fois). Le monde saisi comme un émerveillement indissociable de l’effroi. Nimbé d’une lumière poudreuse. Avec une aura folle. Des chansons moins lettrées qu’amoureuses, remontées de la vie même, et nues comme la main. Avec dedans le dormir et le pleurer, les batailles de boules de neige, le trop aimer/le mal aimer, tous les refus et ce qu’il y a de dingue à se sentir caressé quand même. Krotz Strüder écrit, compose, adapte, chante et joue comme on va chercher sa petite sœur à l’école. C’est parfaitement irraisonnable. C’est bouleversant. 

                                                                                         Florian Caschera, Chronic'Art, mars 2009

 

Où l’on réalise que l’album Alles klar, chroniqué dans ces colonnes il y a six mois, était le deuxième volet d’une trilogie. Où l’on retrouve avec bonheur le ton à la fois gothique et réaliste des chansons de Krotz Strüder, toujours poète, pour le troisième et dernier CD-R, tiré en première édition à seulement cinquante exemplaires. Mêlant, sans préjugé, jazz, coldwave, pop réaliste et accords minimalistes de guitare bluesy, Krotz Strüder trimballe au-dessus de sa tête, telle une épée de Damoclès, un spleen contagieux, inquiétant et venimeux. L’imminence de la tragédie ménage alors un calme d’une profonde vérité. Dans l’oeil du cyclone, l’équilibre fragile des éléments (des notes qui n’hésitent pas à composer avec les silences, des mots choisis qui économisent le souffle d’une voix un peu cassée) semble tenir à leur immobilité, leur tranquillité. Les contrastes de tempo et de couleurs finissent par tirer toujours vers des gris colorés, des tons rompus, patinés par l’expérience et la pratique généralisée de l’ambiguïté ou du bizarre. Les voisinages incongrus d’une matière à l’autre ressemblent à cette complexité globale et harmonieuse que seuls le chaos et le hasard peuvent engendrer. En refermant l’album, Krotz Strüder fige le paysage juste avant le drame, polaroïd de l’état des moindres choses avant qu’elles ne retournent au néant.

                                                                                        Magic. Marie Daubert.