Un homme met à la poste un petit paquet d’enveloppes contenant chacune
un cd-r sur lequel sont gravés neuf morceaux, chansons ou pièces de
musique. Il s’agit d’enregistrements réalisés au cours des semaines
précédentes au domicile du posteur par le posteur lui-même, à l’aide
d’un petit objet numérique et de quelques instruments (trois guitares
probablement soit un total de 18 cordes).
L’ensemble n’excède pas dix-huit minutes (ici réduites à 15 et des
poussières) et réfère explicitement à la figure, à l’œuvre ou encore à
la personne de l’écrivain de langue allemande Robert Walser (1878-1956),
soit directement à travers la mise en voix et en musique de certains
poèmes de l’auteur, soit indirectement par l’esprit qui anime ou
tenterait d’animer les autres pièces. L’ensemble se distingue par une
pauvreté de moyens mise au service d’une inspiration chancelante. Une
manière de cartel accompagne le cd-r, où figurent au recto la
reproduction d’une gravure de Karl Walser, frère de l’écrivain, et au
verso le nom attribué à chaque piste de l’ensemble, intitulé
"walseriana". La gravure de Karl Walser représente un personnage de dos
s’enfonçant aux confins d’un paysage d’hiver rachitique et enveloppant,
avec dunes et nappes de neige piquées au loin d’arbres morts. L’espace
est saturé de flocons noirs qui ressemblent à des épines et qui
lacèreraient le ciel délicatement. Le type s’en va mains dans les
poches. Le cd-r et le cartel sont glissés dans une pochette en
plastique. Dans l’enveloppe également, un bout de papier plus ou moins
blanc supporte à peu de choses près le libellé suivant, tracé au feutre
mauve : "petite promenade à la nuit tout juste tombée, dans les pas de
l’esquivant Robert Walser". Suivent les initiales K.S, initiales du
posteur selon toute vraisemblance. L’homme s’éloigne du centre de la
ville et s’étonne d’avoir à ce point déconné. C’était aller derechef
au-devant d’un grand silence, et c’est peut-être alors ce qu’il
cherchait. Il trouva dans sa poche, à l’heure du chien-et-loup, la
paperolle où il avait copié tantôt une phrase de l’écrivain Robert
Walser, et qu’il transportait depuis en tous lieux et circonstances :
"si nous n’avons pas l’impression maintenant que nous sommes un peu
misérables, nous sommes des monstres". Lecture qui indéniablement eut
pour effet de le mettre en joie. Et c’est ainsi grisé qu’il gravit
allègrement les pentes abruptes du Mont-de-Chat, avec des allures de
brigand.